La survivante - Chapitre 1

Ils étaient l’élite de la planète Oliqua.
Tenant le nom de leur régiments de génération en génération depuis plus de mille ans, les Archers du Nord avaient depuis bien longtemps troqués leurs arcs et leurs flèches pour des armes plus récentes et plus efficaces.

Parmi les cinq royaumes, ils étaient les meilleurs. Et le meilleur d’entre eux avait un nom : Street.
Non seulement tireur hors pair, Street était également une montagne de muscle, pouvant sans problème s’en prendre à dix hommes à lui tout seul. La rage qui l’animait, qui le poussait à se surpasser encore plus loin que les autres, était également sa faiblesse.

A 30 ans, l’homme-rat n’était que sergent, à la tête d’une petite escouade de cinq hommes-rats, presque aussi dangereux que lui.
Quand Ziem, son second, ne passait pas son temps à manger, il n’avait pas son pareil pour décapiter ses adversaires. Veri, le plus petit de la bande, était le spécialiste des pièges en tout genre : il adorait les poser et les désamorcer, même lorsqu’il n’était pas en mission.  Hyusis était la seule femme de la bande. Usant de ses charmes pour vaincre l’ennemi sans violente était pour elle aussi naturelle que de respirer. Mais elle savait se défendre avec ses couteaux électriques. Utau était le toubib du groupe. Bien qu’ils n’avaient que rarement  besoin de ses services, il n’hésitait pas, en période de repos comme à la guerre, à faire des expériences sur des ennemis – morts ou vivants – car « la Science l’appelait à le faire ». Enfin, Arew, le plus jeune de tous, avait suivi Street partout depuis cinq ans maintenant lorsque lui et son escouade avait sauvé son village des hommes-chats qui s’apprêtaient à le raser pour le plaisir. Récalcitrant au départ, Arew, alors âgé de neuf ans, s’est vite révélé indispensable pour tout le monde, surtout lorsqu’ils avaient découvert ses talents de cuistots : en effet, il était capable de préparer un vrai repas dans n’importe quelle condition, avec n’importe quoi et le faire apprécier par ses équipiers !

La mission des Archers aujourd’hui était relativement simple : transporter un homme endormi du Skalyn à Eldoll sans se faire prendre par l’ennemi.

L’homme était transporter dans une sphère métallique noire à peine plus grande qu’un ballon pour humains, pouvant planer à quelques centimètres au-dessus du sol, facilitant grandement les déplacements.

Mais ce qui intriguait la troupe était surtout les ordres spécifiques lorsqu’on leur avait remis la sphère, anormalement froide : interdiction formelle d’essayer de l’ouvrir !

D’ordinaire, les Archers ne posaient pas de questions, surtout lorsque l’ordre venait d’en haut, mais là, le fait que cet ordre puisse avoir été spécifiquement donné ne cessait de leur trotter dans la tête depuis les deux derniers jours…
Chacun avait fait les paris sur ce qui était à l’intérieur : Arew pensait qu’il s’agissait de l’enfant d’un clan ennemi. Utau disait que l’homme n’était plus entier, ce qui expliquait selon lui la taille de la sphère…

- Bon ça suffit, maintenant !

Street n’était pas connu pour ses bavardages. D’ordinaire, il préférait travaillait seul, ce qui expliquait son grade peu élevé. Mais peu à peu, il s’était attaché à cette équipe hétéroclite. Quand bien même ils lui tapaient sur le système.

Ses camarades avaient cependant soulever un point intéressant : la sphère était trop petite pour y contenir un homme-rat, et encore plus pour un homme chat… Mais alors qui se trouvait dedans ? Et pourquoi tant de précaution de la part de leurs supérieurs ?

La raison de la froideur de la sphère était une évidence pour tout le monde : « l’homme » avait été placé en hibernation. Mais pourquoi ? Blessé ? Trop dangereux ?

- Alors, qu’est-ce qui te tracasse vraiment, Street ?...
Sortant de ses pensées, le soldat regarda la patte poilue d’Hyusis posée sur son épaule gauche, le caresser légèrement comme à son habitude, lorsqu’il  voulait se détendre… Ou lorsqu’elle voulait lui soutirer quelque information.

- On est sans nouvelle de Skalyn depuis la nuit d’hier… Et ça a commencé depuis qu’on a vu cette comète dans le ciel qui tombait dans sa direction.
- Allons, tu sais bien qu’en montagne, et par cette tempête les communications radios sont toujours difficiles… Et puis ce n’est pas la première fois qu’il y a des comètes dans le ciel, non ?...
- Arrête, Hyusis ! T’as très bien compris ! – Street s’était relevé pour faire quelques pas dans la neige – C’était pas comme les autres ! On l’a tous vu !
Hyusis attendit quelques secondes que son chef se calme.
- C’est vrai qu’il était plus gros que d’habitude, celui-là… Tu… Tu penses qu’il aurait pu s’écraser sur la cité ?...
- … Possible… Mais on ne pourra en être sûr que lorsqu’on aura atteint Eldoll et livrer le colis.
- Et là-bas, tu n’as pas essayer de les contacter ?
- Bien sûr que si ! Qu’est-ce que tu crois !! Mais ils se contentent de me dire de continuer la mission sans poser de « questions stupides »…

Voyant que Street s’énervait à nouveau, Hyusis changea de sujet.

- Tu as vu comme la sphère a l’air incroyablement ancienne ?... Une chose est sûre, ce n’est pas nos architectes qui l’ont construit…

Street tourna légèrement la tête en direction de l’objet, qui se trouvait entourée par leurs autres compagnons. Ziem mangeait un sandwich, Utau s’amusait avec Duenne, sa petite belette domestique, tandis que Arew s’amusait à compter les petits symboles triangulaires qui se trouvaient dessinés sur la sphère. Mais comme la sphère ne cessait de tournoyer sur elle-même, le jeune rat s’énervait toujours au bout de quelques secondes, avant de recommencer sa tâche laborieuse…

Il était clairement évident que la sphère datait de plusieurs siècles avant leur ère, qui elle-même atteignait désormais les cinq cents cycles.

Ce ne pouvait pas non plus être l’œuvre des hommes-chats, dont la civilisation était aussi vieille que la leur.

Cette sphère avait été récupérée dans l’une des cités de leurs ennemis, abandonnée après avoir subi une défaite causée par son escouade. Cinq hommes-rats ayant massacré près de cent hommes-chats à eux tous seuls !  

Cet exploit leur avait valu les remerciements de leur présidente nouvellement élue, en personne, ainsi que l’autorisation d’amener la sphère mystérieuse à Eldoll, lieu de prédilection des meilleurs scientifiques des hommes-rats.

L’aube arrivait peu à peu. L’énorme soleil rouge dans le ciel commençait à pointer le bout de son nez.

Du haut de leur montagne, les Archers du Nord pouvait commencer à voir la cité rat, et ce même malgré les nuages et la neige. De loin, Eldoll ressemblait à une vague fourmilière géante, qui contrastait totalement avec la cité-tour de de Skalyn, qui était entourée par une épaisse muraille. Ici, la cité sœur n’avait que très peu de protection militaire : quelques soient les espèces, quelle que soit l’époque les scientifiques et les soldats ne coopéraient guère facilement !

L’enthousiasme du jeune Arew qui ne cessait de pointer du doigt la cité en répétant son nom, sautillant comme un enfant heureux de recevoir un cadeau, gagnait peu à peu le reste de l’escouade.

Bientôt leur calvaire serait terminé, et ils n’auraient plus à se tracasser avec cette maudite sphère !...

Street s’autorisa enfin un sourire et allait se mettre à applaudir avec ses compagnons, lorsque l’impensable se produisit.

Un énorme rugissement d’un animal inconnu raisonna jusqu’à eux, suivie d’une boule de feu géante qui apparut au milieu de la cité rat, l’engloutissant en une dizaine de seconde, avant de disparaître aussitôt. Emportant Eldoll entière avec elle.

S’ensuivit une secousse qui se répercuta jusqu’à eux, les faisant tous tomber à la renverse.

- Est-ce que tout le monde est ok ?! hurla Street après s’être remis debout.
Un à un, les Archers répondirent tous présents. Soupirant, Street regarda à nouveau en direction d’Eldoll, ou de ce qu’il en restait…
Un épais champignon de fumée grise remplaçait désormais la cité, s’évaporant peu à peu dans le reste des nuages…

- On se remet en route !

Street avait toujours survécu à toutes les situations grâce à sa rapidité de réaction, même les plus désespérées. Et malgré les… circonstances particulières qui venaient d’arriver, sa mission n’avait pas changer : se rendre à Eldoll.

- Mais… Street ?...

Dans ces moment-là, seule Hyusis pouvait parler avec lui.

- On a une mission à accomplir.

Le chef de l’escouade se mit alors à avancer en direction d’Eldoll – ou de ce qu’il en restait – sans attendre les autres ni se retourner.

Comme un seul rat, les membres des Archers du Nord récupèrent le strict minimum et se mirent en route.

Arew, qui d’habitude s’amusait à se laisser porter par la sphère en lévitation marchait désormais à leurs côtés, comme un véritable soldat. Sans se plaindre de l’allure difficile à suivre pour un garçon comme lui.

***

Quelques heures plus tard, alors que l’escouade arrivèrent finalement à Eldoll, ils n’y trouvèrent qu’un gigantesque cratère désertique à perte de vue. Une cité qui autrefois avait fait la jalousie de leurs ennemis de toujours n’était aujourd’hui plus qu’un simple souvenir…

Comment les hommes-chats avaient-ils obtenu une telle technologie ? Eux qui n’en étaient encore qu’à la poudre à canon ?

Les hommes-rats n’étaient cela dit guère mieux à ce niveau, mais plusieurs scientifiques  planchaient depuis quelques dizaines d’années sur un projet de super canon pouvant détruire une cité entière… Etait-ce cela l’origine de ce désastre ?... Une erreur due aux grosses têtes ?...

Lorsqu’ils arrivèrent devant le cratère, qui s’enfonçait dans plusieurs mètres sous terre, Street et ses compagnons furent stupéfaits d’y trouver…

Un survivant ?! Allongé sur le sol, les bras croisés derrière la tête, l’individu semblait dormir paisiblement… Bercé par un beau rêve.
Comment ?...

- Eh, toi ?!

Tout en descendant dans le cratère, Street hurla à l’étranger de se réveiller. Suivis timidement par ses compagnons qui se jetèrent des regards inquiets sur la façon de se comporter, ils rejoignirent finalement tous Street, qui examinait déjà l’être endormi.

Qui de toute évidence ne répondait pas aux appels de leur chef.

Lorsque la femme-rat s’approcha à son tour, celle-ci eut un sursaut de recul : l’étranger était une petite fille ! Et ne faisait ni partie du clan des Rats, ni du clan des Chats.

Elle ressemblait vaguement à un petit singe sans fourrure. Hyusis n’avait jamais encore vu une telle espèce dans leur contrée… Un primate éloigné des Terres du Sud, peut-être ?... Non, les singes se déplaçaient toujours en groupe ! Ils n’auraient jamais pu laisser l’une des leurs…
Mais qu’est-ce qu’elle imaginait ?!
Cette fille-singe portait des vêtements !! Pire encore : une armure ! Dont l’épaulière dorée droite avait été endommagée. Sous son armure, l’enfant portait un justaucorps rouge parsemé de petits trous ici et là. Une longue et épaisse mèche noire cachait une partie de son œil droit. Les bottes blanches aux bords dorés et rayés que l’enfant portait semblaient bien trop grandes pour elle : Hyusis en conclut qu’elles n’étaient pas destinées à être les siennes à l’origine…
Hyusis fut sortie de ses pensées lorsqu’elle vit Street secouer sans ménagement l’étrangère qui dormait encore !

-  Allez, nom d’un Rat Borgne ! Tu vas arrêter de faire la sieste et nous dire tout c’que tu sais !!

- Euh… Chef… Elle commence à se réveiller !...

Street se retourna vers Arew, puis immédiatement vers celle qu’il tenait entre ses pattes. Cette dernière grimaçait encore les yeux fermés.

- Pas besoin de me secouer comme ça, le vieux… Ah et puis si tu pouvais dégager ta tronche de mon visage, tu pues comme un rat mort…

Ziem ne put s’empêcher de lâcher un rire étouffé. Les autres le regardèrent d’un air mécontent tandis que ce dernier se contenter d’un « Quoi ? C’est vrai ! » muet en haussant les épaules.

Lâchant l’inconnu qui se cogna la tête par terre, Street recula d’un pas et se mit debout, prêt à dégainer l’épée qui se trouvait à sa ceinture.

Se frottant énergiquement la tête, la jeune inconnue ne cessait de répéter « Aïe ! » et en maudissant ce foutu sol trop dur pour dormir.

- Bon… bon, bon, bon…
Une fois remise de ses émotions et de son réveil difficile, l’étrangère, observa les six inconnus qui venaient troubler son sommeil.
- Qu’est-ce que nous avons là ?... Ah !  Des rats ! Encore ?! Mais j’vous ai pas tous buté hier ?!

- Quoi ?!
Comme un seul homme, l’escouade dégaina chacun une arme à sa ceinture et se mit à encercler l’étrangère. Tous attendaient le signal de leur chef pour agir…

- Qu’est-ce que tu racontes, gamine ?! Comment peux-tu, à toi toute seule, avoir détruit une cité entière ?...
- Ah, non, pas une ! Dix ! Ah et puis y avait pas que des rats, y avait des chats, aussi !... Plus grands que vous, mais pas plus difficile à tuer… - Ce fut alors que l’estomac de la petite émit un gargouillis – Qu’est-ce que j’ai faim, moi ! Pas vous ? Ça arrête pas ces temps-ci ! Plus j’me bats, plus j’ai faim !

Un étrange appareil accroché à son oreille gauche émit une série de petit « bip » aigus, avant d’afficher des chiffres sur le verre transparent vert qui recouvrait la totalité de son œil.

- 42 unités ?! Pas mal, pour cette planète !... Mais à titre de comparaison, mon niveau est de 408 unités ! Autant vous dire que…

Ne comprend rien au charabias de cette petite effrontée, Street donna le signal avec sa queue de rat. Tous l’attaquèrent alors et dans toutes les directions possibles à une vitesse impressionnante !

Mais pour la fille en armure, ce fut comme s’ils se déplaçaient au ralenti.

- Pathétique…

En moins d’un battement de sourcils pour Street, toute son escouade fut envolée dans les airs sans avoir pu porter le moindre coup. Avant de retomber raide mort, bouche ouverte à quelques mètres hors du cratère.

Contre toute attente, Street était toujours en vie, bien que son estomac lui fasse maintenant souffrir le martyre. Il n’arrivait pas à se souvenir du moment où on lui avait porté ce coup.

En l’espace de quelques secondes qui semblèrent une éternité pour Street, il ne vit que les flocons de neige tomber du ciel sur son visage. Tous ses soucis étaient derrière lui. La sphère. Les gradés. Pour la première fois de sa vie, malgré la douleur insoutenable, il était étrangement calme…
Puis apparut le monstre devant son regard.

Ce n’était pas une jeune fille ordinaire qui se tenait les bras croisés, souriant au-dessus de lui en lévitant comme la sphère. C’était la Déesse des Cauchemars en personne. Celle que toutes les mères disaient à leurs enfants qu’elle allait les dévorer pendant leur sommeil s’ils n’étaient pas sages…

Incarnés dans ce petit corps sadique qui ne ressemblait ni à un rat ni à un chat !

- Dis-moi… Je recherche des gens qui sont comme moi… - Ce faisant, elle déroula une petite mais épaisse queue de singe qui était jusqu’à présent comme attachée au bas du ventre et se déplaçait à présent de haut en bas – T’en aurais pas vu dans le coin, par hasard ?...

Street eut toutes les difficultés du monde pour lever son bras gauche de quelques centimètres. Croyant qu’il allait lui donner une direction, la jeune fille se rapprocha subitement de son visage et tendit son oreille droite, tout en regardant le bras levé.

- Oui ?! Où ça ?!

Le bras de Street pointa péniblement la petite sphère noire, toujours en lévitation. Comme si il voulait aller la chercher.

- … Ah…

Déçue, la jeune guerrière s’éloigna de quelques centimètres de lui aussi rapidement qu’elle s’en était rapprochée.

- C’est pas un sayen, ça ! C’est juste qu’une boule qui flotte ! Pff… Ces rats, décidément… Tous les mêmes !

Mue par une curiosité malsaine, la jeune guerrière se laissa voler dans les airs jusqu’à cette fameuse boule, ignorant totalement l’homme-rat qui agonisait encore, crachant du sang.

Gênée par les bruits incessants du rat, la meurtrière pointa sa main gauche ouverte vers le blessé sans se retourner.

La dernière chose que le sergent Street de Skalyn vit de ses yeux furent une intense lumière jaune arrivant droit sur lui…

***

Observant sous toutes ses formes la boule qui était aussi grosse que sa tête, la jeune sayenne se lassa vite de cette chose. Réfléchissant à un moyen amusant de s’en débarrasser, elle eut rapidement une idée !

Lançant la boule dans les airs, elle s’amusa alors à imitant un pistolet avec sa main droite, et tout en tenant son bras droit avec sa main gauche visant lentement la sphère qui retombait à toute allure, puis lança un rayon d’énergie jaune partant de son index.

Ne regardant pas ce qui allait inévitablement advenir de sa cible une fois le nuage de poussière qui s’était formé autour, la guerrière se retourna et commença lentement à marcher dans la direction opposée en fermant les yeux.

« Clong !! »

Comment ça, « Clong » ?! pensa-t-elle après avoir sursauté et s’être retournée en position d’attaque.

Puis elle vit alors, stupéfaite, que la sphère n’était pas détruire. Pire encore, elle semblait intacte !!  

Qeewaaaa ?!

Contrariée de ne pas avoir eu l’effet désirée, la jeune fille s’approcha de la sphère en bondissant pour s’élever à  plusieurs mètres, avant de redescendre lentement, bras en l’air et poings fermés, au sol.

La sphère se mit alors à briller d’une faible lueur verte. Lueur qui se mit à augmenter au fur et à mesure que la sphère vibrait de plus en plus fort ! La guerrière fut à un court moment donné obligée de se protéger les yeux en les fermant et en mettant ses bras devant son visage.

Une fois le calme revenu, la jeune fille constata que la sphère s’était ouverte en deux.
A l’intérieur, un être encore plus étrange qu’elle sembla soudainement sortir d’un sommeil sans âge…